Les sociétés militaires privées en Afrique : Un facteur de sécurité ou de déstabilisation ?
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Kamal AKRIDISS
Publié le 26 Février 2025
Les sociétés militaires privées (SMP) sont devenues des acteurs incontournables des conflits et des opérations de sécurité en Afrique. Initialement perçues comme des mercenaires modernes, elles sont désormais intégrées dans les stratégies de nombreux États africains. Offrant expertise, flexibilité et puissance de feu, elles pallient les insuffisances structurelles des forces nationales face aux menaces sécuritaires croissantes. Toutefois, leur rôle suscite un débat majeur : constituent-elles une solution efficace ou bien un facteur de déstabilisation et de perte de souveraineté pour le continent ?
Expansion des SMP en Afrique : Une Influence Grandissante
Depuis les années 2000, le recours aux SMP a explosé. Des entreprises comme Wagner (Russie), Frontier Services Group (Chine) et diverses sociétés occidentales sont impliquées dans des missions de protection, de formation militaire et d’opérations de combat. Leur présence est particulièrement marquée en République centrafricaine, au Mali, en Libye et au Mozambique, où elles participent directement aux conflits.
Quelques chiffres clés :
- Le groupe Wagner aurait entre 1 200 et 2 000 mercenaires en République centrafricaine et 1 645 au Mali en 2023.
- 34 opérations ont été menées par des SMP russes dans 16 pays africains depuis 2005.
- En 2022, la sécurité privée chinoise protégeait près de 30 % des infrastructures stratégiques de la BRI (Belt and Road Initiative) en Afrique.
- En 2023, 70 % des contrats sécuritaires des États africains concernaient des SMP étrangères, un chiffre en forte progression par rapport à 55 % en 2018.
Pourquoi les états africains recourent-ils aux SMP ?
- Un déficit capacitaire : Les armées locales manquent souvent de formation, d’équipement et de logistique pour faire face aux menaces terroristes et aux rébellions.
- Une rapidité d’intervention : Contrairement aux armées nationales, les SMP offrent une mobilisation immédiate sans restrictions bureaucratiques.
- Un enjeu géopolitique : Les puissances étrangères utilisent ces entreprises pour protéger leurs intérêts stratégiques en Afrique, qu’il s’agisse de ressources naturelles ou de positions diplomatiques.
Exemple : La Russie utilise Wagner comme outil de soft power militaire, obtenant en échange des concessions minières en République centrafricaine. La Chine, quant à elle, mobilise des SMP pour sécuriser ses projets d’infrastructure et routes commerciales.
Un impact ambivalent sur la sécurité régionale
L’implication des SMP en Afrique a des conséquences variées :
Effets positifs :
- Stabilisation temporaire : Au Mozambique, la SMP sud-africaine Dyck Advisory Group a aidé les forces locales à reprendre des territoires occupés par des djihadistes en 2021.
- Modernisation des forces locales : Certaines SMP assurent formation et encadrement, améliorant l’efficacité des armées nationales.
Effets négatifs :
- Violations des droits humains : Des rapports indiquent que le groupe Wagner est responsable de 76 % des exactions signalées en République centrafricaine en 2022.
- Perte de souveraineté : La dépendance accrue aux SMP réduit la capacité des États à gérer leur propre sécurité.
- Prolifération des conflits : Les SMP agissent parfois hors de tout cadre juridique, exacerbant les tensions locales plutôt que les résolvant.
Le cadre juridique : Une régulation insuffisante
Les SMP opèrent souvent dans un vide juridique :
- La Convention de l’OUA de 1977 sur le mercenariat est obsolète et ne s’applique pas aux SMP modernes.
- L’ONU ne dispose d’aucun mécanisme contraignant pour réguler ces entreprises.
- Le Document de Montreux (2008), qui établit des principes de bonne conduite pour les SMP, reste volontaire et non contraignant.
Actuellement, seuls 30 % des pays africains disposent d’une législation claire encadrant les SMP, ce qui favorise les abus et l’opacité des contrats.
Quel avenir pour les SMP en Afrique ?
Trois scénarios sont envisageables :
- Régulation et encadrement international
L’Union africaine et l’ONU pourraient imposer des normes strictes sur les contrats entre États et SMP, garantissant plus de transparence et de responsabilité. - Expansion incontrôlée et chaos sécuritaire
Sans régulation, les SMP risquent de devenir un facteur de conflits permanents, alimentant le marché de la guerre privée et rendant les États africains toujours plus dépendants. - Remplacement progressif par des forces locales
Certains États investissent dans la formation de leurs propres forces, comme le Rwanda, qui réduit sa dépendance aux SMP grâce à des programmes de formation militaire.
Conclusion : Une nécessité de contrôle stratégique
Les sociétés militaires privées ne sont ni une solution miracle, ni un mal inévitable. Leur rôle en Afrique repose sur un équilibre fragile entre sécurité, souveraineté et intérêts économiques.
D’un côté, elles permettent des interventions rapides et efficaces, comblant les lacunes des forces locales. De l’autre, leur absence de régulation et leurs liens avec des intérêts étrangers compromettent l’autonomie des États africains.
Si l’Afrique veut éviter une privatisation totale de la guerre, il est urgent de :
- Mettre en place des lois nationales et internationales strictes pour encadrer ces entreprises.
- Exiger la transparence des contrats SMP-États pour limiter l’opacité et la corruption.
- Investir dans les forces nationales pour réduire la dépendance aux mercenaires étrangers.
L’avenir de la sécurité en Afrique dépendra de la capacité des États à reprendre le contrôle de leurs ressources stratégiques et à éviter que des acteurs privés ne dictent l’ordre géopolitique du continent. La sécurité nationale ne peut être externalisée sans mettre en péril la souveraineté à long terme.
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