Classement Forbes 2025 – Les milliardaires africains : cartographie d’un pouvoir concentré et révélateur
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Classement Forbes 2025 – Les milliardaires africains : cartographie d’un pouvoir concentré et révélateur
Kamal Akridiss : Président @R.O.C.K. Institute
Publié le 06 Juin 2025

Le classement 2025 des milliardaires africains, publié par Forbes, ne se contente pas de dresser la liste des grandes fortunes du continent. Il livre, en filigrane, une lecture stratégique du pouvoir économique privé en Afrique. En révélant qui possède quoi, où, et comment, il offre une cartographie précieuse pour qui s’intéresse à l’intelligence économique, à la souveraineté, et à la dynamique réelle du capitalisme africain.
Cette année, 21 milliardaires africains figurent dans le classement Forbes, pour une fortune cumulée d’environ 90 milliards de dollars américains. Ce chiffre, à première vue impressionnant, masque une réalité plus complexe : il est dominé par quelques grands pôles géographiques, et largement absent des régions à fort potentiel, notamment l’Afrique francophone subsaharienne.
Trois géants continentaux : Nigéria, Afrique du Sud, Égypte
Trois pays émergent nettement du classement : le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’Égypte, qui concentrent à eux seuls près de 65 % des fortunes africaines.
Au Nigéria, Aliko Dangote continue de dominer avec une fortune estimée à 28,3 milliards de dollars, grâce à son empire dans le ciment et le raffinage. Il est rejoint par Mike Adenuga, actif dans le pétrole et les télécommunications, et Abdul Samad Rabiu, également présent dans les matériaux de construction.
En Afrique du Sud, les Rupert, Motsepe et Bekker incarnent un capitalisme solidement installé, souvent hérité de l’apartheid, mais qui continue d’influencer les dynamiques économiques régionales via l’agriculture, les mines, les médias et les services financiers.
L’Égypte, quant à elle, confirme son statut de pays-pivot entre le monde arabe, l’Afrique et l’Europe. Les familles Sawiris et Mansour contrôlent des conglomérats très diversifiés, allant de la construction aux services bancaires, en passant par les télécoms et l’automobile.
Une Afrique francophone sous-représentée, malgré ses atouts
L’Afrique francophone est presque absente du classement, à l’exception notable du Maroc, qui compte trois milliardaires : Othman Benjelloun, patron de BMCE Bank of Africa ; Aziz Akhannouch, homme d’affaires et actuel chef du gouvernement ; et Anas Sefrioui, pionnier du secteur immobilier. Au-delà du Maroc, aucun milliardaire ne provient des pays d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique centrale francophones.
Ce vide soulève des interrogations sérieuses. Comment expliquer l’absence de fortunes de cette envergure au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Cameroun ou en RDC, pays à forte population, à croissance soutenue, et riches en ressources naturelles ? Le problème ne vient pas du manque de potentiel, mais plutôt de l’absence d’un environnement favorable à l’émergence d’élites économiques puissantes et indépendantes.
Des fortunes construites sur la rente, pas sur l’innovation
Un autre constat majeur se dégage de l’analyse sectorielle : la richesse africaine reste largement centrée sur des secteurs traditionnels, peu transformants et très sensibles aux aléas extérieurs. On y trouve :
- Le ciment, l’agro-industrie, les matières premières, la distribution, les télécoms.
- Mais aucune présence notable dans les technologies émergentes, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, la biotech ou les énergies renouvelables.
Cette lacune technologique est préoccupante. Elle montre que l’Afrique ne produit pas encore ses propres géants de l’innovation, comme l’ont fait l’Inde avec Infosys ou Reliance Jio, la Chine avec Tencent ou Huawei, ou encore le Brésil avec Nubank. Le continent reste un consommateur de solutions étrangères, au lieu d’être un centre de production technologique.
Le pouvoir économique comme instrument d’influence
Au-delà de l’économie, ces fortunes sont aussi des vecteurs d’influence stratégique. Les grandes familles comme les Sawiris, Motsepe ou Benjelloun sont présentes dans la diplomatie informelle, les fondations philanthropiques, les lobbys continentaux, ou encore les partenariats Sud-Sud.
Ces milliardaires sont souvent connectés à des réseaux internationaux : Gulf Cooperation Council, institutions financières occidentales, opérateurs chinois. Ils influencent les politiques publiques de manière parfois plus efficace que certains ministres, notamment dans les domaines du commerce, des infrastructures ou de la sécurité économique.
Cela soulève une question essentielle : peut-on bâtir une souveraineté économique sans souveraineté sur les acteurs économiques ?
Pourquoi l’Afrique francophone peine à faire émerger ses champions ?
Plusieurs freins structurels expliquent l’absence de milliardaires dans la zone francophone :
- Accès limité au crédit industriel long terme
- Faible bancarisation de l’économie réelle
- Manque d’écosystèmes de croissance (incubateurs, hubs, pôles de compétitivité)
- Poids des administrations sur l’économie productive
- Manque de stratégie d’intelligence économique publique
Ces déficits ne sont pas seulement techniques. Ils traduisent une incapacité des États à anticiper, à protéger et à nourrir les initiatives économiques locales à haute valeur ajoutée.
Pour un capitalisme africain souverain : trois leviers stratégiques
La souveraineté économique ne passe pas par des slogans, mais par des politiques industrielles et financières cohérentes. Trois axes sont essentiels :
- Former et soutenir une élite économique stratégique, par la formation, l’accès au capital et des cadres fiscaux stables.
- Renforcer les filières critiques, notamment dans le numérique souverain, les infrastructures résilientes, l’agro-industrie à haute valeur ajoutée, et la santé.
- Déployer des outils d’intelligence économique et de cartographie du pouvoir, pour surveiller, sécuriser et orienter les acteurs privés les plus influents dans une logique d’intérêt général.
Conclusion : bâtir un capitalisme africain de transformation
Le classement Forbes 2025, bien qu’économique en apparence, agit comme un révélateur politique. Il montre que la richesse africaine n’est pas uniquement rare : elle est concentrée, peu diversifiée et souvent captée par des logiques de rente ou de proximité politique. Cette configuration empêche l’émergence d’un capitalisme réellement transformateur, capable de renforcer l’autonomie stratégique du continent.
Mais ce constat n’est pas une fatalité. Il peut devenir un point de départ, à condition de repenser en profondeur les conditions de naissance, de croissance et de protection des élites économiques africaines. Il s’agit moins de multiplier les milliardaires que de changer la nature des fortunes qui façonnent notre avenir collectif.
Un capitalisme africain souverain ne se construit pas à travers des slogans ou des réformes sectorielles ponctuelles. Il exige une vision à long terme, fondée sur la création de valeur locale, l’adossement à des technologies critiques, et une stratégie coordonnée entre États, universités, entreprises et centres de réflexion.
Sans cette ambition partagée, le continent restera dominé par des économies d’extraction, par une élite économique fragile, et par une dépendance chronique aux puissances extérieures. Il faut donc agir avec méthode, audace et lucidité.
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