Dissolution du PKK : lecture stratégique, sécuritaire et prospective
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Dissolution du PKK : lecture stratégique, sécuritaire et prospective
R.O.C.K. Institute & Mohamed Bayou (Directeur du Centre Marocain de la Diplomatie Economique)
Publié le 13 Mai 2025
L’annonce, le 12 mai 2025, de la dissolution unilatérale du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) marque un moment clé dans un conflit qui influence la structure sécuritaire turque depuis plus de quarante ans et a des répercussions sur les équilibres régionaux impliquant la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran. Cette résolution, annoncée suite au 12ème congrès du mouvement, se base clairement sur une instruction idéologique provenant d’Abdullah Öcalan, qui est toujours en détention à İmralı. Ce n’est pas une reddition militaire, mais plutôt un réajustement stratégique : un retrait déclaré de la voie armée au profit d’une gestion politique du conflit kurde.
Si ce tournant est véritable, il déstabilise toutes les matrices d’analyse classiques dans la gestion de la menace PKK. Il est important de noter que, au cours des décennies, cette organisation a évolué d’une simple structure insurrectionnelle pour se transformer en une entité transfrontalière, possédant des ramifications dans les domaines militaire, politique, social et symbolique. Son effacement officiel ne doit donc pas être perçu comme une disparition véritable, mais comme une tentative de transformation, qui pourrait se manifester de diverses manières dans les mois à venir. Une évaluation rigoureuse nécessite non seulement de détecter les conséquences immédiates, mais également les processus discrets et plus progressifs qui pourraient être déterminants dans la recomposition du terrain conflictuel.
Pour le gouvernement turc, cette dissolution constitue, à première vue, une opportunité sans précédent d’initier une désescalade durable dans les régions du sud-est anatolien. Elle pave la voie vers une réaffectation des ressources de sécurité vers un modèle de gestion territoriale plus flexible, potentiellement axé sur la reconstruction et l’intégration socio-économique. Il serait cependant imprudent de négliger que cette période de transition présente deux risques majeurs : penser à une paix établie trop hâtivement et minimiser la ténacité des structures alternatives que le PKK a réussi à ancrer dans la communauté kurde, aussi bien en Turquie qu’aux alentours.
Sur le plan politique interne, le président Erdoğan pourrait chercher à tirer profit de cet incident en se présentant comme le défenseur de l’unité nationale et de la paix restaurée. Cette initiative pourrait constituer un atout stratégique à l’approche de futures élections, en attirant notamment l’électorat kurde conservateur, tout en soulignant la souveraineté de l’État. Toutefois, le véritable défi se pose au niveau de la gestion des attentes : la fin du conflit armé laisse un vide d’activité qui, s’il n’est pas rempli par des actions politiques significatives – reconnaissance culturelle, ajustements institutionnels, changements sociaux – risque de se transformer en source de frustration. Cela constituerait alors un environnement propice à l’apparition de nouvelles formes de radicalité, plus dispersées, moins structurées, mais possiblement plus ardues à contenir.
Sur le plan régional, la diminution du PKK diminue effectivement les réseaux d’influence qu’il entretenait en Syrie via les Forces démocratiques syriennes (FDS), ainsi qu’en Irak dans la région montagneuse du Qandil. Ankara pourrait saisir cette nouvelle faiblesse comme une occasion propice pour intensifier sa pression, particulièrement en Syrie, où elle aspire depuis des années à isoler les YPG, qui sont une branche directe du PKK. Cette restructuration régionale pourrait aussi créer un terrain de collaboration en matière de sécurité sans précédent entre la Turquie, l’Irak et le gouvernement régional kurde (GRK), qui jusqu’à présent manifestaient une certaine ambivalence vis-à-vis des Peshmerga associés au PKK. L’objectif partagé de l’élimination des sanctuaires logistiques pourrait favoriser une convergence d’intérêts, bien qu’elle soit encore dépendante de la stabilité interne de chacun de ces acteurs.
La fin du PKK modifie aussi la dynamique des relations entre Ankara et ses alliés occidentaux. En se dégageant officiellement d’un intervenant longtemps considéré comme un frein majeur à la normalisation des relations diplomatiques, la Turquie acquiert un nouvel atout dans ses pourparlers avec l’Union européenne, les États-Unis et l’OTAN. Cette nouvelle configuration pourrait engendrer des conséquences tangibles sur des sujets qui étaient jusqu’à présent enlisés, comme la mise à jour de l’équipement militaire turc ou la révision du statut des forces kurdes syriennes. Cependant, cette chance est précaire : si la personnalité d’Öcalan devient un enjeu diplomatique vivant – à travers des actions internationales de libération – la Turquie pourrait faire face à une pression morale et symbolique complexe à atténuer.
D’un point de vue sécuritaire, L’absence d’un système indépendant pour vérifier le désarmement représente une faille significative dans l’ensemble du processus. Cela signifie dans le domaine du renseignement que l’on ne peut écarter aucun scénario impliquant la conservation partielle d’armes, la division du commandement ou la création de cellules dissidentes. Le risque majeur tient à la diffusion de la menace : des groupes extrémistes dérivant de la matrice PKK pourraient poursuivre le combat sous d’autres modalités, dans des régions où l’absence d’autorité se fait toujours sentir, tel que le Sinjar, certaines parties de la Jazira syrienne ou même au sein de la communauté kurde à l’étranger. L’expérience récente en matière de processus de désarmement montre que, sans une supervision externe rigoureuse et une proposition politique englobante, il est très probable qu’on glisse vers un conflit non conventionnel de faible intensité.
En matière de gouvernance, le Parti pour l’égalité démocratique (DEM) pourrait se révéler être la nouvelle plateforme institutionnelle pour les revendications kurdes. Cela implique une ouverture politique de la part de l’État, qui accepterait d’incorporer des revendications dans un cadre constitutionnel strict. Toute tentative d’exclure ou de stigmatiser le DEM ne ferait qu’intensifier les dynamiques de polarisation et minerait l’initiative pour sortir du conflit. Avec plus de précaution, toute mention d’une libération ou d’une reconnaissance d’Abdullah Öcalan devra être minutieusement ajustée. Une telle action, prise sans accord national préalable, pourrait diviser la société turque et susciter une résistance violente au processus de réconciliation, aussi bien dans les cercles nationalistes que dans certaines institutions.
En matière de réintégration, la question des ex-combattants doit être traitée avec pragmatisme. L’expérience montre que tout processus de démobilisation réussi repose sur un triptyque : amnistie partielle, accompagnement psychologique, et réinsertion socio-économique. Faute de quoi, ces profils peuvent basculer dans la mercenarisation, rejoindre d’autres théâtres de conflit comme le Yémen ou le Sahel, ou constituer des réservoirs dormants de violence endogène. L’encadrement de cette phase devra donc être pensé en lien avec les services de renseignement, les autorités locales et des partenaires internationaux, selon un modèle hybride mêlant contrôle et accompagnement.
Enfin, le gouvernement turc devra prévoir une guerre de l’information intense. Certaines ONG sympathisantes du PKK, des médias en exil et divers militants s’efforceront de remodeler le récit de cette dissolution, en ravivant la figure d’Öcalan et en critiquant le manquement de réciprocité de l’État turc. Il sera primordial de maîtriser ce récit pour assurer une cohérence stratégique, aussi bien au niveau national qu’international.
Pour résumer, la dissolution du PKK ne signifie pas la fin du conflit kurde, mais plutôt son passage à une nouvelle étape, plus ambiguë, plus dynamique, et potentiellement plus complexe à maîtriser. Cela donne à la Turquie l’occasion de redresser ses équilibres internes et de repenser sa stratégie régionale, mais nécessite en contrepartie une surveillance renforcée, une flexibilité constante et un investissement stratégique durable. En l’absence de cela, ce changement ne représentera qu’un déplacement du conflit sans véritable résolution.
Références
- Reuters – PKK disbands and ends 40-year Turkey insurgency
- BBC – Kurdish group PKK says it is laying down arms and disbanding
- Al Jazeera – PKK to disband, potentially ending decades of conflict in Turkiye
- El País – PKK announces its disbanding after 40 years
- Human Rights Watch – Kurds in Turkey
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