France – Syrie : le jihadisme a-t-il vraiment disparu ?
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France – Syrie : le jihadisme a-t-il vraiment disparu ?
Kamal Akridiss : Président @R.O.C.K. Institute
Publié le 02 Juillet 2025

Cela aurait pu passer inaperçu. Une jeune femme arrêtée à l’aéroport de Toulouse, un billet pour Chypre, une valise, un projet de départ discret. Et pourtant, derrière ce fait divers du 24 juin dernier se cache une réalité stratégique bien plus préoccupante : le retour lent, invisible, mais structuré de trajectoires jihadistes françaises vers la Syrie. Alexia R., 21 ans, projetait de rejoindre la katiba d’Omar Diaby, un groupe bien connu des services spécialisés, actif depuis plus d’une décennie dans le nord-ouest syrien. Elle n’était pas seule. Son compagnon devait la rejoindre quelques jours plus tard. Avant eux, trois autres cas similaires ont été détectés depuis mars 2024. Tous ont un point commun : une connexion directe ou indirecte avec le réseau Diaby.
On aurait pu croire cette époque révolue. Que les réseaux de départs vers la Syrie appartenaient à une autre phase de la menace, celle de Daech, de 2015, de la sidération. Pourtant, ces affaires révèlent une dynamique beaucoup plus profonde : le jihadisme français ne cherche plus la masse, mais la résilience. Et dans cette nouvelle forme, il devient plus silencieux, plus structuré, plus idéologique.
Données clés
- Plus de 1 300 ressortissants français ont rejoint la zone syro-irakienne entre 2012 et 2017 (SGDSN).
- En 2024, une trentaine de tentatives de départ vers des zones jihadistes ont été détectées, en hausse de 40 % par rapport à 2022 (DGSI).
- Selon Europol (2023), 62 % des réseaux jihadistes utilisent désormais des routes indirectes via Chypre, la Jordanie ou les Balkans.
- En avril 2024, l’ONU signalait que 18 % des nouvelles recrues jihadistes en Syrie provenaient de zones de transit africaines (Libye, Niger, Tchad).
- D’après le CPDSI, 40 % des jeunes radicalisés (18–25 ans) en France ont été influencés par un membre de leur famille.
Un jihadisme en mutation
Omar Diaby n’est pas un simple prédicateur radical. Il incarne une nouvelle forme de jihadisme : doctrinal, familial, digitalisé. Sa katiba, la Firqatul Ghuraba, rejette les dérives de l’État islamique pour revenir à un jihad plus puriste, structuré autour d’un engagement spirituel long terme. C’est un jihadisme de niche, fondé sur une sélection idéologique, un enracinement générationnel, et une stratégie de dissémination discrète.
Les profils observés aujourd’hui traduisent ce basculement. Moins visibles, souvent jeunes, parfois diplômés, ils ne partent plus en groupe mais en tandem, contournant les radars par des itinéraires complexes. La radicalisation passe désormais par les sphères fermées : messageries cryptées, réseaux interpersonnels, contenus religieux traduits et diffusés en micro-communautés. Le lien n’est plus forcément organisationnel, il est familial ou symbolique.
Une réponse à reconstruire
Le traitement sécuritaire seul ne suffit plus. Il faut repenser les outils d’analyse, renforcer la cartographie des récits jihadistes, intégrer l’approche comportementale et territoriale dans l’anticipation. La menace jihadiste actuelle n’est plus un bloc centralisé, mais une mosaïque de récits, de trajectoires individuelles, de fractures sociales et cognitives.
À l’international, la coopération devient cruciale. Les routes changent, les relais aussi. Le Sahel devient une zone tampon, la Libye un sas, et certains États faillis un catalyseur. Face à cela, la France et l’Europe doivent intégrer leurs partenaires africains non comme des points d’appui logistiques, mais comme des acteurs de co-construction stratégique. L’Afrique n’est pas un théâtre secondaire, elle est un terrain pivot.
Conclusion
Ce que révèlent ces trajectoires, ce n’est pas simplement la persistance d’une mouvance jihadiste, mais sa mutation stratégique profonde. Le jihadisme francophone ne cherche plus à frapper fort et vite, mais à s’enraciner lentement, en construisant une génération convaincue, mobile, discrète et résiliente. Ce glissement vers un jihadisme de niche, familial, idéologique et digitalisé nous oblige à repenser nos outils : moins de réaction, plus d’anticipation ; moins de surveillance massive, plus d’intelligence humaine ; moins de centralisation, plus de collaboration interrégionale.
Car la prochaine menace ne viendra pas nécessairement d’un attentat. Elle viendra d’un vide laissé dans l’analyse, d’un récit alternatif laissé sans réponse, d’un jeune esprit isolé laissé sans repère. C’est là que le travail doit commencer : dans les marges, les signaux faibles, les espaces cognitifs oubliés.
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