Musk vs Trump : et si le vrai pouvoir n’était plus à la Maison-Blanche
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Musk vs Trump : et si le vrai pouvoir n’était plus à la Maison-Blanche
Kamal Akridiss : Président @R.O.C.K. Institute
Publié le 07 Juin 2025

L’affrontement entre Donald Trump et Elon Musk n’est plus une joute d’egos ni une simple querelle politique : il constitue l’un des symptômes les plus visibles d’un changement radical dans la structure du pouvoir mondial. À travers ce face-à-face se lit une fracture de civilisation : l’émergence d’une souveraineté technologique privée, capable de rivaliser avec les États, d’influencer leurs politiques publiques, et de modifier à elle seule les équilibres géopolitiques. Elon Musk, avec ses empires interconnectés – Tesla, SpaceX, Neuralink, Starlink, X (ancien Twitter), et xAI – n’est plus seulement un entrepreneur ; il incarne désormais une force transversale, un acteur systémique, capable de modifier le cours des marchés, des récits, et des trajectoires stratégiques de nations entières.
À l’opposé, Donald Trump, figure populiste dotée d’un instinct politique brut, cherche à restaurer la hiérarchie classique du pouvoir régalien. Son retour sur la scène électorale s’accompagne d’un durcissement protectionniste qui cible indirectement les géants technologiques – et Musk en particulier. En quelques semaines, les politiques de Trump ont provoqué une onde de choc : Tesla perd près de 14 % en Bourse, la fortune personnelle de Musk fond de 34 milliards de dollars – soit davantage que le PIB du Burkina Faso ou de l’Islande –, et les signaux envoyés au marché sont clairs : l’État entend reprendre la main, même au prix d’une confrontation ouverte avec ses anciens alliés économiques.
Mais c’est dans l’espace que la tension atteint son paroxysme. SpaceX, fleuron de la renaissance spatiale américaine, traverse une crise technique majeure. Un incident non élucidé sur une capsule Dragon empêche le retour de deux astronautes de la Station Spatiale Internationale, qui devaient rentrer après huit jours et se retrouvent contraints de rester plusieurs mois en orbite. Ce scénario de blocage spatial, qui évoque des situations de guerre froide, contraint la NASA à solliciter Roscosmos – l’agence spatiale russe – pour un soutien logistique d’urgence. En pleine guerre en Ukraine, cette dépendance à un adversaire géostratégique pour ramener ses propres astronautes constitue une humiliation symbolique pour Washington, et une alerte rouge sur sa capacité réelle de souveraineté technologique.
Cette fragilité n’est pas seulement technique : elle est stratégique. SpaceX est aujourd’hui responsable de près de 70 % des lancements gouvernementaux américains. Une interruption prolongée, qu’elle soit due à une panne ou à une décision politique, pourrait désorganiser la logistique spatiale militaire, le déploiement des satellites de renseignement, ou encore l’interopérabilité des communications dans des zones de conflit. Musk devient, de facto, un opérateur stratégique critique, dont la défaillance remettrait en cause la sécurité nationale.
Deux hypothèses sont alors envisagées dans les cercles d’analyse.
La première : SpaceX est victime d’un excès de confiance systémique. Son omniprésence dans les contrats publics, sans concurrent crédible sur certains segments, a produit une dépendance dangereuse. La chaîne de renseignement américain n’aurait pas anticipé les vulnérabilités de cette centralisation industrielle, et l’administration Biden (ou Trump) paie le prix d’une privatisation excessive des infrastructures de souveraineté.
La deuxième hypothèse, plus troublante, évoque une riposte stratégique déguisée de Musk. Le ralentissement de SpaceX serait alors une manière implicite de rappeler à l’État fédéral que sans la coopération de ses géants privés, la puissance américaine devient dysfonctionnelle. En ralentissant certains programmes ou en invoquant des contraintes techniques, Musk envoie le signal que la frontière entre sphère publique et privée est désormais floue, et qu’il peut la franchir à sa convenance.
Ce climat tendu est aggravé par un événement en apparence secondaire, mais hautement stratégique : la destruction d’un satellite russe par la Russie elle-même. Ce test antisatellite génère une prolifération de débris dans l’orbite basse, mettant en danger des centaines d’appareils, notamment ceux du réseau Starlink. Or, ce réseau – avec plus de 5 000 satellites actifs – constitue aujourd’hui une infrastructure critique non seulement pour les télécommunications civiles, mais aussi pour l’armée ukrainienne, les services secrets américains, et les forces de l’OTAN. La Russie, en frappant l’orbite, envoie un message : l’espace est devenu un théâtre de confrontation hybride, où les vulnérabilités sont multiples, et où les acteurs privés sont devenus des cibles légitimes.
L’ensemble de ces dynamiques conduit à une interrogation majeure : les États sont-ils encore en mesure de gouverner les géants technologiques qu’ils ont contribué à faire émerger ? Elon Musk dispose de moyens de pression sans équivalents dans l’histoire contemporaine. Il contrôle la connectivité de l’Ukraine (Starlink), il détient les lanceurs qui assurent l’autonomie spatiale des États-Unis (Falcon 9, Falcon Heavy), il peut perturber les récits numériques (X), et il influence les marchés boursiers à travers ses déclarations. Trump, lui, a le pouvoir d’annuler des contrats, d’instruire des enquêtes fédérales, de modifier les politiques fiscales et d’imposer des normes restrictives.
Nous assistons ainsi à l’émergence d’un nouveau type de guerre froide : asymétrique, algorithmique, et post-souveraine. Il ne s’agit plus d’un conflit entre blocs idéologiques, mais d’une rivalité entre architectures de pouvoir. D’un côté, les institutions héritées du XXe siècle, construites autour de la loi, du budget public et des relations internationales. De l’autre, des empires numériques et technologiques, fluides, transnationaux, agiles, dont la puissance réside dans le contrôle de la donnée, de la logistique, et de la perception.
Le face-à-face entre Elon Musk et Donald Trump ne doit pas être réduit à une simple confrontation entre un chef d’État potentiel et un milliardaire rebelle. Il s’agit de l’un des premiers cas documentés de collision frontale entre une souveraineté politique classique et une souveraineté technologique privée, aux conséquences systémiques. Ce duel révèle avec brutalité à quel point les instruments traditionnels du pouvoir – lois, frontières, monopoles régaliens – ne suffisent plus à contenir les effets de la globalisation numérique et de la privatisation des leviers de puissance.
Dans l’ancienne logique westphalienne, l’État détenait seul le monopole de la décision stratégique, du renseignement, du contrôle de l’espace et de la guerre. Ce modèle est aujourd’hui profondément ébranlé. En maîtrisant l’orbite basse, les infrastructures critiques (Starlink), les flux de communication de masse (X), l’IA militaire (xAI), et même les récits politiques, Elon Musk est devenu une entité post-nationale, à la fois fournisseur stratégique et acteur de pression, capable de conditionner des décisions d’intérêt général.
Face à cela, Trump tente de réactiver un cadre vertical du pouvoir, fondé sur la coercition économique, la centralisation étatique et une rhétorique nationaliste. Mais sa marge de manœuvre est limitée : dans un monde interconnecté, même l’appareil d’un État fédéral peine à contenir un empire technologique dont les racines sont transfrontalières, et dont les dépendances sont mutuelles.
Ce moment de tension est donc beaucoup plus qu’une rivalité personnelle. Il est le symptôme d’un basculement d’époque. Nous entrons dans une ère où les nouvelles puissances ne seront pas nécessairement des États, mais des écosystèmes d’innovation, des intelligences artificielles souveraines, ou des coalitions industrielles mondialisées. Et il devient impératif de réfléchir à une gouvernance technopolitique, qui ne repose plus uniquement sur la souveraineté territoriale, mais sur la souveraineté fonctionnelle.
Autrement dit, la question n’est plus : “Qui gouverne un pays ?” mais “Qui contrôle ce qui gouverne nos vies ?
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