OCP sous Terrab : Entre puissance industrielle et guerre cognitive
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OCP sous Terrab : Entre puissance industrielle et guerre cognitive
Commission Diplomatie économique et coopération
Publié le 11 Mai 2025
Durant près de vingt ans, Mostafa Terrab est devenu un symbole indissociable de la métamorphose spectaculaire du Groupe OCP, qui ne s’est pas seulement imposé comme un titan industriel mondial, mais aussi comme un outil stratégique dans la diplomatie économique du Maroc. Titulaire d’un diplôme en ingénierie du renommé Massachusetts Institute of Technology (MIT), Terrab ne se contente pas d’être un gestionnaire d’une entreprise publique ordinaire. Il est le maître d’œuvre d’une transformation industrielle majeure, associée à une réorientation géopolitique de grande ampleur pour le Royaume. C’est exactement ce rôle mixte à la croisée de l’économie, de la diplomatie et de l’influence – qui positionne OCP et son président en plein centre de dynamiques informationnelles complexes, voire tendues.
De l’extraction brute à la souveraineté industrielle
Lorsque le Groupe OCP a pris ses fonctions en 2006, il était encore fortement imbriqué dans un modèle d’extraction hérité du XXe siècle, axé sur l’exportation de phosphate naturel brut, dont le Maroc possède plus de 70% des réserves mondiales identifiées. Terrab réalise rapidement que cette rente minérale n’est plus suffisante. Il initie un projet audacieux de révolution industrielle, investissant des centaines de milliards de dirhams dans des infrastructures destinées à la transformation, des installations de production d’engrais et des centres logistiques. L’objectif est évident :
Faire du Maroc un centre de production d’engrais phosphatés à l’échelle mondiale, en englobant l’intégralité du processus, de l’extraction minière jusqu’à l’agriculture.
Les résultats sont impressionnants. Entre 2008 et 2023, la production d’engrais du groupe connaît une ascension, passant de 3 millions à plus de 15 millions de tonnes annuellement. En 2024, le chiffre d’affaires s’élève à plus de 96 milliards de dirhams, témoignant d’une rentabilité remarquable avec un EBITDA dépassant les 39 milliards de dirhams, ce qui représente une marge brute proche de 40 %. Cette réaffectation n’est pas seulement d’ordre économique, elle est aussi stratégique. Terrab positionne l’OCP dans une perspective de force, à l’intersection de l’agriculture internationale et des défis de la sécurité alimentaire.


https://www.ocpgroup.ma/key-figures
L’Afrique comme horizon stratégique
La seconde révolution initiée par Terrab se trouve dans son ancrage sur le continent. Depuis l’établissement d’OCP Africa en 2016, la stratégie sud-sud s’est imposée comme un pilier majeur de développement. Cependant, le projet ne se limite pas à l’exportation de produits finis ; il vise également à contribuer de manière significative à la modernisation du secteur agricole en Afrique subsaharienne. OCP entreprend alors d’importantes initiatives de cartographie des sols, soutient la numérisation de l’agriculture, éduque des millions d’agriculteurs et met en place des centres logistiques locaux.
En adoptant cette approche, le groupe transcende sa fonction traditionnelle de fournisseur pour se transformer en un partenaire de développement. Terrab, en tant qu’architecte délicat du soft power marocain, établit OCP comme un intervenant crédible dans la souveraineté alimentaire du continent africain. La diplomatie des fertilisants est intégrée dans une démarche plus globale du Maroc qui cherche à consolider ses liens sur le continent, surtout depuis le réadhésion du Royaume à l’Union Africaine. Ainsi, grâce à son action sur le terrain et à ses collaborations institutionnelles, l’OCP s’affirme comme un instrument diplomatique de premier ordre.
Performances durables : entre innovation et écologie
Terrab, tout en étant conscient des enjeux environnementaux actuels, intègre OCP dans une voie de durabilité ambitieuse. Le groupe a exprimé son ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040, en recourant à des installations d’énergie verte et de traitement des eaux non conventionnelles. À partir de 2024, toutes les activités industrielles devraient arrêter toute extraction d’eau potable, grâce à un système avancé de dessalement et de réutilisation.
Cette démarche écologique ne découle pas seulement d’une position éthique, mais contribue également à l’effort de réputation stratégique : dans un contexte où la pression sur les ressources et le discours environnemental deviennent des outils de compétition, OCP se présente comme un précurseur d’une industrie minière et agricole durable.
Désinformation, guerre cognitive et ingérence : la face sombre de la réussite
Toute stratégie de puissance engendre inévitablement des oppositions. Depuis 2023, Mostafa Terrab est de plus en plus critiqué dans certains médias marocains et internationaux. Il est critiqué pour une gouvernance trop centralisée, des investissements considérés comme risqués à l’étranger, et une élaboration de stratégie perçue comme solitaire. Ces assauts, fréquemment amplifiés sur les plateformes sociales, ne peuvent être limités à de simples critiques de gestion.
Dans le domaine de l’intelligence économique, ces campagnes sont typiquement considérées comme faisant partie de la guerre de l’information. On observe les signes typiques d’actions déstabilisatrices : propagation d’accusations non fondées, soutien médiatique opportuniste et remise en question de la légitimité du leadership. Ce n’est pas uniquement une question de nuire à la réputation d’un leader, mais également de mettre en péril une entreprise essentielle dans un secteur crucial – celui des intrants agricoles, qui est actuellement au centre de tensions géoéconomiques mondiales.
On peut envisager plusieurs hypothèses. D’une part, des tensions internes pourraient se manifester au sein de l’élite marocaine, en désaccord avec quelques-unes des directions prises par Terrab. Cependant, il est également possible que des forces étrangères ou des groupes rivaux tentent d’entraver la dynamique africaine de l’OCP, qui se positionne en concurrence directe avec les géants américains, russes ou chinois du secteur de l’agrofourniture. Dans un monde où le pouvoir repose également sur la gestion de l’information, la désinformation se transforme en une arme économique.
Anticipation, contre-influence et gouvernance cognitive
Devant ce genre d’attaques, la réaction ne peut se limiter à une réponse institutionnelle ou légale. Elle doit s’insérer dans une stratégie active de contre-influence. Cela nécessite d’intensifier la communication stratégique du groupe, de diffuser régulièrement des informations financières et opérationnelles vérifiables, et d’établir des équipes de surveillance aptes à repérer les signaux faibles d’une guerre cognitive en amont.
Le groupe pourrait également tirer parti de ses partenariats stratégiques pour former une coalition de soutien : des partenaires en Afrique, des institutions internationales agricoles, des investisseurs éthiques. En consolidant son réseau et en gérant efficacement les narratifs, l’OCP est en mesure de renforcer sa résilience réputationnelle face aux actions hostiles.
Conclusion
La trajectoire de Mostafa Terrab à la direction du Groupe OCP exemplifie la complexité d’un leadership stratégique dans le contexte de l’économie du savoir. La transformation d’une entreprise nationale en leader mondial, en exploitant le soft power et en menant des batailles informationnelles, nécessite une perspective à la fois technocratique, géopolitique et cognitive. C’est à ce stade que se joue désormais l’intelligence économique du XXIe siècle : non seulement dans la conquête de marchés, mais aussi dans la protection des symboles, des narrations et des réseaux d’influence.
Recommandations stratégiques : communication et sécurité cognitive face à la guerre informationnelle
Face à la désinformation grandissante concernant la gestion de l’OCP, la réponse stratégique ne peut plus se restreindre à une défense institutionnelle défensive. Il maintenant nécessaire de mettre en place une structure proactive d’intelligence économique, centrée sur le contrôle des courants d’information et la gestion de l’image publique. Voici quelques suggestions spécifiques dans cette direction :
1. Faire de la communication un outil stratégique, pas seulement un relais institutionnel
La communication du groupe ne peut se limiter à être unidirectionnelle, technique et sporadique (comme le rapport annuel ou le communiqué de presse). Elle doit se transformer en un outil narratif dynamique, en mesure de :
- Déployer des formats multilingues et multimédias pour capter un public africain, arabe, francophone et anglophone.
- Humaniser le leadership à travers des entretiens éditoriaux, tribunes d’opinion et conférences visibles, pour répondre directement aux critiques par la présence, et non par le silence.
2. Déployer une cellule d’intelligence informationnelle
Il devient crucial de structurer une unité dédiée à la veille stratégique, composée d’experts en OSINT, communication de crise, et en stratégie réputationnelle :
- Surveillance quotidienne des réseaux sociaux, blogs spécialisés, articles d’opinion.
- Cartographie des influenceurs et relais hostiles, en identifiant leurs motivations (idéologiques, économiques, concurrentielles).
- Élaboration de contre-récits argumentés pouvant être diffusés rapidement sur les bons canaux.
3. Collaborer avec des think tanks et médias crédibles pour “préempter la narration”
Les attaques informationnelles prospèrent dans le vide narratif. Pour le combler, l’OCP devrait s’associer à des laboratoires d’idées africains ou mondiaux pour publier des études, tribunes ou rapports co-signés. Cela crédibilise le discours, tout en montrant une ouverture à la critique constructive. Une telle alliance avec l’écosystème intellectuel africain renforcerait aussi le soft power du groupe.
4. Former les cadres dirigeants à la guerre cognitive
Dans le monde de l’économie mondialisée, il ne suffit plus de maîtriser la technique ou la stratégie. Il faut aussi comprendre les logiques de l’influence, de la rumeur, du framing et de l’agenda-setting. Un programme de formation spécifique, en partenariat avec des écoles de guerre économique (comme l’École de Guerre Économique – EGE à Paris), pourrait renforcer les capacités des décideurs à détecter, décoder et désamorcer les attaques informationnelles.
5. Renforcer la transparence proactive des données stratégiques
La meilleure défense contre la manipulation de chiffres ou les insinuations est la publication régulière de data ouvertes et auditables :
- Tableaux de bord en open data sur la performance sociale, environnementale et financière.
- Accès en temps réel à certaines données agrégées via une plateforme publique dédiée.
Références
- https://www.ocpgroup.ma/investors/financial-results
- https://www.ocpgroup.ma/key-figures
- https://www.mei.edu/publications/moroccos-new-challenges-gatekeeper-worlds-food-supply-geopolitics-economics-and
- chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://ocpsiteprodsa.blob.core.windows.net/media/2021-08/OCP-Sustainability_report_2020-GRI_certified.pdf
- chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/07/Agriculture_WEB_Revised.pdf
- Université de Sherbrooke (2021). Manuel d’intelligence économique appliquée aux entreprises publiques.
- MIT Alumni Magazine (2021). Portrait Mostafa Terrab via MIT News archives.
- Banque Mondiale (2023). Souveraineté alimentaire et intrants africains. https://www.worldbank.org
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