Oléoduc Niger – Bénin : Jeu de go en Afrique de l’Ouest
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Rédigé par un contributeur de R.O.C.K. INSTITUTE
Publié le 21 Janvier 2025
Oléoduc Niger – Bénin : Jeu de go en Afrique de l’Ouest
La relation entre la Chine et l’Afrique n’a cessé de se renforcer à mesure que le continent rentrait progressivement dans une dépendance notamment commerciale. Dans le même temps la Chine est engagée dans un processus majeur de transition hégémonique qui s’apparente à « un jeu de GO » par une recherche de mise sous dépendance de ses partenaires notamment dans sa stratégie d’accès aux ressources.
L’oléoduc reliant le Niger au Bénin mis en service par une société chinoise représente une avancée importante dans le domaine de l’infrastructure énergétique en Afrique de l’Ouest. Il donne au Niger, pays enclavé mais riche en ressources pétrolières, une capacité d’export de l’or noir sur les marchés internationaux. Suite au coup d’état de 2023, la situation diplomatique entre le Bénin et le Niger ne semble pas avoir affecté la finalisation des travaux mais paralyse la mise en service de celui-ci.
Les entreprises chinoises sont prises au piège d’un conflit entre deux États. La Chine, conformément à sa politique de non-ingérence a tout d’abord été passive et silencieuse dans l’attente d’un règlement régionale, avant de finalement mettre la pression à Niamey pour débloquer la situation dérogeant ainsi à ses principes. De plus, les militaires nigériens au pouvoir issue du putsch du 26 juillet 2023 profitent de leur position pour renégocier les accords avec les investisseurs chinois.
Toutefois, ce projet permet à la Chine de poursuivre sa stratégie de sécurisation des ressources d’approvisionnement via le projet des « routes de la soie » (BRI : belt and road initiative). Les investisseurs chinois ont vraisemblablement conduit une analyse approfondie de leur environnement en amont du projet et mis en place un ensemble de mesures pour se prémunir d’entraves à la construction et à l’utilisation de l’oléoduc. À travers la description des acteurs et de leur interaction il est possible d’analyser quelques critères de la stratégie d’influence de la Chine mais également d’y déceler quelques limites.
Description du projet
Le 1er mars 2024 l’annonce a été faite de la mise en service du pipeline d’exportation du pétrole du Niger vers le Bénin, 20 après l’obtention des premières autorisations. En dépit de l’annonce concomitante de l’attribution autoritaire du bloc d’exploration de Bilma à la SONIDEP (société nigérienne du pétrole) par les autorités nigériennes au détriment de la CNPC (china national petroleum corporation), la major chinoise a convaincu les parties prenantes de mettre l’infrastructure en service pour rentabiliser son investissement de plus de 4 milliards de dollars US dans cet oléoduc de près de 2000 km. À terme, cela devrait assurer une rente annuelle de 300 à 500 millions de dollars à la junte.
Le projet financé par la société chinoise China National Petroleum Corporation (CNPC) est achevé depuis janvier 2024. Il est par ailleurs en cours de remplissage depuis le 1er mars 2024 et a permis de réaliser un premier chargement de pétrolier en mai. Ce pipeline permettra ainsi d’acheminer le pétrole brut du bloc d’Agadem au Niger au terminal portuaire de Sèmè-Kpodji au Sud-Est du Bénin. Il sera capable prochainement d’approvisionner en off-shore des tankers stationnant au large du terminal grâce à une « bouée export » dont le marché a été remporté par la société hollandaise Blue water energy services. Le débit de cet oléoduc devrait être de 90 000 barils par jour.
L’entreprise chinoise WAPCO-Bénin (West African oil pipeline company), filiale de la CNPC, est maître d’œuvre du projet de construction d’un pipeline qui permettrait au Niger d’exporter son pétrole brut vers les marchés internationaux via le port béninois de Sèmè-Kpodji. La CNPC a investi 6 milliards d’euros (4 pour le champ de pétrole, 2 pour le pipeline) au moment de la signature des accords en août 2019. Ce projet rentre dans le cadre de la Phase II de l’exploitation du bloc d’Agadem, un gisement pétrolifère nigérien localisé dans l’Est du pays.
L’oléoduc et la mise en exploitation des nouveaux puits de pétrole devraient permettre de multiplier par 6 la production de pétrole brut du Niger, passant de 20 000 bpj à 120 000 (échéance initiale prévue en 2023), dont 75 à 80% sont destinés à l’export.
Stratégie d’implantation : jeux des acteurs
La Chine, à travers un écosystème d’acteurs influents diffuse des messages de développement durable et de responsabilité environnementale. Ses organes de communication publique et ses relations publiques mettent en avant les bénéfices en termes d’économie et d’acquis sociaux pour les pays hôte. De manière moins visible, des acteurs relais indirectement le narratif de la Chine. L’utilisation du terme “pipeline vert” et la déclinaison de messages clés sont la base de la stratégie d’influence du gouvernement chinois pour faire accepter le projet. Il souligne les aspects supposés écologiques du projet et ce malgré des impacts environnementaux réels. La Chine s’appuie en partie sur les médias régionaux pour promouvoir ses projets sous un angle positif, minimisant ainsi les impacts locaux.
Enfin, depuis 2011 la Chine mène une politique active d’organisation d’échanges avec de nombreux Think Tanks africains qu’elle finance en partie. Le gouvernement chinois finance également les savoirs universitaires (centre de recherches, publications) lui permettant d’avoir un regard sur leurs publications.
Acceptation politique
En collaborant étroitement avec les gouvernements locaux, la Chine s’assure leur soutien et leur coopération. Des promesses de développement économique, d’infrastructure et de création d’emplois face à des états en mal de gouvernance et en recherche de gains politiques rapides aident à obtenir l’acceptation des projets. Mohamed Bazoum, ancien président du Niger, avait exprimé sa satisfaction quant à l’évolution des travaux du pipeline, soulignant l’importance de ce projet pour l’économie régionale. Cette collaboration étroite entre WAPCO et les gouvernements locaux a permis de s’assurer d’un déroulement sans encombre des travaux et dans le respect des attentes des parties prenantes. Nous pouvons estimer qu’une telle opération de séduction des différents acteurs, allant des responsables politiques à l’opinion publique a débuté un peu avant 2005 avec l’obtention des premiers permis de recherche. Soit une stratégie d’influence sur plus de 20 ans. Pour illustrer l’acceptation politique, le plan de sécurité portuaire anti-pollution validé et salué par l’Agence Béninoise pour l’Environnement (ABE) est un bel exemple.
Au Niger, suite au coup d’état militaire, les putschistes par l’intermédiaire de leur autorité de régulation du secteur de l’énergie (ARSE) ont privatisé une partie de l’extraction pétrolière qu’ils ont confié à la SONIDEP. En réponse, la Chine connaissant les criticités des finances nigériennes à cette époque, propose un prêt de 400 millions de dollars d’aide revigorant à court terme l’économie du Niger mais rendant l’état dépendant de la Chine. La politique de la dette chinoise est souvent rééchelonnée mais jamais abandonné à la différence des pays membres du Club de Paris.
À travers ses représentations diplomatiques et les événements officiels particuliers, la Chine soutien efficacement les entreprises privées chinoises et tout particulièrement dans les domaines stratégiques d’accès aux ressources. Ainsi, les ambassades de Chine au Niger et au Bénin développent régulièrement des actions culturelles et sociales mettant en avant les bienfaits de la culture chinoise. À travers le forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) la Chine promeut la coopération et les relations commerciales entre les deux pays. Le dernier forum qui s’est tenu le 25 avril 2024, coïncide avec l’ouverture de l’oléoduc.
Les grandes entreprises publiques chinoises sont très proches des ambassades de Chineiv. Les sociétés pétrolières dont la CNPC est même d’un rang hiérarchique plus élevé que les ambassadeurs, ce qui lui permet de mieux protéger leur autonomie et leurs intérêts. Toutes les grandes entreprises chinoises implantées en Afrique possèdent un comité du Parti Communiste Chinois (PCC), qui assure le respect des instructions du PCC en provenance de Pékin. Ces comités ne communiquent toutefois pas vers l’extérieur et leurs activités restent opaques. Cela étant, ils surveillent la stratégie de communication des entreprises et la conformité de leur narratif aux politiques du Parti, qui sont ensuite véhiculés à travers les médias internationaux chinois implantés au Niger depuis 2011.
De même les instituts Confucius promeuvent la langue chinoise, la diffusion de la culture chinoise, et le renforcement des échanges éducatifs et culturels entre la Chine et les pays hôtes permettant de diffuser une image positive du pays et par rebond celle des investisseurs.
Normes et règles ODD
Les normes et les règles qui régissent les entreprises pétrolières chinoises ne semblent pas les contraindre. La Chine s’astreint même à des engagements internationaux, influençant la conduite des entreprises chinoises à l’étranger, notamment en matière de développement durable et de responsabilité sociale. Couvert par l’état à travers la législation nationale et affichant des garanties importantes sur les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance internationale allant au-delà de la charte des Nations Unies sur les objectifs de développement durable, les entreprises chinoises apparaissent comme des acteurs positifs du développement.
La CNPC met en œuvre des politiques de RSE, détaillées dans des rapports annuels officiels, pour s’assurer que ses projets bénéficient aux communautés locales. Cela inclut la création d’emplois locaux et des initiatives de développement communautaire, renforçant ainsi l’acceptation sociale de leurs projets.
Enjeux d’acceptation social
L’un des aspects les plus notables de la stratégie d’influence de WAPCO et plus généralement de la Chine est l’effort consenti à la recherche d’acceptation du projet par les communautés et les autorités locales. Cette stratégie permet ainsi d’atténuer les impacts sociaux du projet.
Au Bénin, la société WAPCO a notamment fait d’un effort particulier sur l’éducation et la formation des jeunes (auditoire majoritaire d’Afrique) en dispensant des formations comme soudeurs, électriciens ou sur les techniques d’échafaudage mais également par l’attribution de subvention (En novembre 2022, un montant de 28 millions de francs CFA a été offert par l’ambassade de Chine et l’entreprise WAPCO-Bénin aux étudiants les plus méritants dans les filières spécifiques et prioritaires du gouvernement béninois au cours de la quatrième édition de l’initiative de la Ceinture et de la route de la soie). Ces actions mettent en avant l’engagement de la Chine et de ses entreprises à développer l’économie locale. L’entreprise fourni des emplois, mais elle contribue également à la formation et au développement des compétences locales, créant ainsi un environnement favorable à son activité.
Au Niger l’effort semble avoir porté sur trois domaines. Tout d’abord le développement d’infrastructure (Réparation du château d’eau de N’Gourti, construction d’une Mosquée, pour assurer les activités de prières des habitants, construction de 20 puits d’eau potable et 15 classes, pour l’amélioration de vie). Ensuite, des investissements dans l’environnement (don d’un million de francs CFA au gouvernement, pour le reboisement et la protection environnementale en 2018) comme le montrent les rapports annuels de la CNPC. Enfin le volet sanitaire, avec un soutien à la construction de clinique ou encore des actions ponctuelles de séduction mentionnées dans le rapport annuel RSE 2020 qui décrit l’envoi d’une équipe médicale.
Cette stratégie d’acceptation sociale, mise en lumière par les exemples ci-dessus est bien identifiée et plus ou moins mise en œuvre par toutes les grandes entreprises internationales. Les entreprises chinoises excellent dans ce « soft power non invasif » qui modèle les perceptions. Il est systématiquement intégré à tous les niveaux et de manière globale dans des projets d’envergure minimisant ainsi les risques de conflits sociaux.
Gestion de l’insécurité v: société de sécurité privé chinoise et forces de sécurité locales
À travers la sécurisation de ses infrastructures la Chine déploie une offre globale de sécurité dans tout un secteur d’activité évacuant mécaniquement la concurrence d’autre entreprise de service de sécurité et de défense (ESSD). Les nouvelles infrastructures chinoises permettent de justifier le développement de sociétés de sécurité privée chinoise.
La Chine utilise régulièrement ses propres sociétés de sécurité privées pour protéger ses infrastructures à l’étranger. Ces sociétés militaires privées, contrôlées par le pouvoir chinois ou du moins sous très forte influence de l’État, offrent des services de gardiennage, de protection des personnes, de conseil et d’audit. Elles font appel en partie à une main d’œuvre locale et deviennent à elle seul un outil d’influence.
Parallèlement, la Chine collabore avec les forces de sécurité locales pour assurer la protection de ses projets. Cette coopération peut inclure la formation, l’équipement et le soutien logistique aux forces de sécurité nationales pour renforcer leur capacité à protéger les infrastructures critiques. Dans le cadre de la sécurisation d’infrastructure pétrolière et de transport d’hydrocarbure, le Niger a annoncé la création d’une « force d’intervention » permettant notamment de sécuriser les flux de carburants. La Chine pourrait apporter son soutien financier et matériel à cette nouvelle force.
Coté Béninois, la coopération en matière de sécurité est également un pan de l’influence chinoise. Pour accompagner la stabilité de la région et la sécurité du pipeline, la Chine a équipé les forces armées béninoises de drones de reconnaissance en mars 2023. Il faut rappeler que déjà en 2018, un an avant la signature du projet de l’oléoduc, la Chine a fait part de son soutien au gouvernement béninois dans la lutte contre les groupes armés et la défense de son territoire. Le gouvernement chinois avait en effet octroyé des matériels militaires importants notamment d’armements et de munitions, mais aussi de transports et fournit diverses formations au personnel militaire.
Controverse environnementale ou l’absence des organisations de protection de l’environnement
Les sociétés pétrolières chinoises, fortes d’une expérience de plusieurs années d’extraction et de transport d’hydrocarbures à travers le monde parviennent à maîtriser localement les velléités des acteurs de la défense de l’environnement. Elles appliquent une double stratégie en se présentant comme des acteurs du développement durable tout en se couvrant d’expertise préalable.
La CNPC et WAPCO investissent ainsi dans des initiatives vertes en parallèle du projet de construction de l’oléoduc. En finançant et en mettant en avant des projets de reboisement et d’énergies renouvelables, ces entreprises contrebalancent les critiques et renforcent l’image d’un acteur engagé dans le développement durable.
À titre d’exemple WAPCO Niger a financé des ateliers permettant de superviser la rédaction des rapports provisoires d’évaluation et d’études d’impact environnemental et social approfondie. Les plans d’actions de réinstallation du projet de construction et d’exploitation d’un pipeline pour l’exportation du pétrole brut au Niger a lui aussi fait l’objet d’un financement chinois. Ces études ont donné lieu à des rencontres avec des autorités administratives et locales, des cadres des eaux et forêts, de code rural et inspection de travail venus des cinq régions Diffa, Zinder, Maradi, Tahoua, et Dosso concernées par les travaux de construction de pipeline Nigéro-béninoise.
Côté béninois, la construction de pipeline va affecter 17 communes dans quatre régions avec un impact considérable sur des forêts sacrées, des forêts classées, des cultures et des marécages. Plusieurs habitats seront détruits et le projet menace la survie de beaucoup d’espèces animales et végétales. Là encore, s’appuyant sur le comité national de International Union for Conservation of Nature (UICN) la société WAPCO bénin s’assure de l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’urgence répondant aux attentes locales et atténuant les possibilités de réponse d’association de défense de l’environnement. A l’occasion d’une rencontre d’autorités locales en présence des responsables de WAPCO le directeur général de l’Agence béninoise pour l’Environnement (ABE), Monsieur François Corneille Kedowide a indiqué « Il s’agit bien d’un projet à haut danger qui nécessite de sérieuses mesures de précaution d’où l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’urgence. » Les personnes dont les parcelles sont concernées par les travaux ont reçu, après consultation entre les différentes parties concernées, des frais de compensation.
Plusieurs ONG en Afrique s’engagent activement dans la protection de l’environnement, en particulier contre les pollutions d’hydrocarbures et les problèmes liés à l’extraction et au transport de pétrole. Toutefois, à ce stade il semblerait que les entreprises chinoises ne fassent pas l’objet d’actions particulières.
Parmi les plus actives en Afrique de l’Ouest, Greenpeace Afrique et Global Initiative for West, Central and Southern Africa (GI WACAF) ne se manifestent pas. Il est tout d’abord imaginable que leurs priorités soient fléchées sur d’autres acteurs. Le rapport d’un consortium d’ONG de défense de l’environnement de 2022 identifie plus de 200 entreprises de financement et d’investissement qui initient des projets sur l’énergie fossile dont les hydrocarbures.
Les entreprises chinoises en Afrique de l’Ouest ne représenteraient donc pas la majeure partie des acteurs du secteur des hydrocarbures ce qui ne ferait pas d’eux la cible prioritaire des ONG. Toutefois, il est également probable que la Chine ait su s’assurer de la discrétion de certains acteurs.
Ce qu’il faut retenir
Le pipeline entre le Niger et le Bénin est un véritable capteur capable de collecter des données considérables sur son environnement. Il est un élément essentiel de la stratégie d’accès des autorités chinoises au golfe de Guinée. La diplomatie et les entreprises privées chinoises sont pleinement intégrées à la stratégie du pays. Elles déploient un écosystème lui garantissant l’acceptation du projet et un monopole sur un pan de l’économie.
Le projet d’envergure ne semble pas avoir connu de difficulté majeure dans sa réalisation. Cela démontre la capacité de la Chine à s’assurer d’un soutien des différents acteurs. Sa réussite dépendra toutefois largement de la capacité des investisseurs à faire face aux questions géopolitiques et de stabilité de la région et à s’assurer des contres parties environnementales et de développement local dans la durée. La Chine, en poursuivant un changement de posture non interventionniste dans les conflits intra-africains, se retrouve impliquée dans la résolution de conflits économiques qui pourraient à terme fragiliser sa stratégie de soft power.
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